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CIRCO₂BETON® : la révolution du béton en boucle fermée

Alors que le secteur de la construction cherche à réduire son empreinte carbone, le recyclage du béton reste souvent cantonné à des applications de moindre valeur, notamment routières. Avec CIRCO₂BETON®, Heidelberg Materials France explore une toute autre voie : celle du recyclage en boucle fermée, où chaque composant du béton démoli retrouve une seconde vie dans de nouveaux bétons. Mélanie Shink, responsable du projet, nous explique comment cette innovation pourrait transformer la filière.

1.

Qu’est-ce que CIRCO₂BETON® et en quoi l’approche “boucle fermée” diffère du recyclage classique ?


 Le recyclage traditionnel du béton rencontre des obstacles techniques qui limitent la valorisation dans des bétons de structure. CIRCO₂BETON® les contourne.

« Le recyclage traditionnel du béton consiste essentiellement à concasser les déchets de démolition pour produire des granulats recyclés. Ces matériaux sont hétérogènes, car les concasseurs ne distinguent pas les différentes couches du béton : les granulats naturels, la pâte de ciment et le sable restent agglomérés. Résultat : des produits poreux, moins denses, absorbant davantage d’eau, difficilement réutilisables dans des bétons de structure. »
Avec CIRCO₂BETON®, « nous avons adopté une approche radicalement différente : une séparation sélective des constituants du béton démoli, afin de retrouver les trois composants d’origine, gravillons, sable et pâte de ciment, chacun valorisé à part. Cette boucle fermée permet de reproduire un béton équivalent en qualité, au lieu de dégrader la matière dans des usages secondaires. En somme, on refait du béton avec du béton. »

2.

Trois grandes étapes pour un recyclage performant

Séparer, carbonater, réintégrer. Un procédé complet pour donner une seconde vie à tous les composants du béton.
Étape 1. Séparation sélective. À l’aide d’équipements spécialisés, le béton démoli est désagrégé plutôt que simplement concassé. Les gravillons (> 4 mm) sont récupérés quasiment intacts et débarrassés de la pâte de ciment. Le sable est séparé des fines et de la pâte adhérente. La pâte de ciment elle-même est isolée comme flux valorisable.
Étape 2. Carbonatation accélérée. La fraction fine, riche en oxyde de calcium (CaO), est acheminée vers la cimenterie où elle subit un traitement de carbonatation : mise en contact avec le CO₂ issu du procédé cimentier. Les bénéfices sont doubles : captage/minéralisation de CO₂ + activation de la pâte comme addition cimentaire.
Étape 3. Réintégration dans de nouveaux ciments et bétons. Les granulats recyclés (gravillons et sable) et les fines carbonatées sont réintroduits dans la boucle de production. Des démonstrations concrètes sont en place sur les sites d’Achères (plateforme) et de la cimenterie de Ranville.

3.

Captage du CO₂, substitution du clinker, nouveaux débouchés

Au-delà du recyclage, l’innovation permet de réduire les émissions et de conserver des performances techniques.

Le procédé agit sur trois leviers :

- Réduction de l’extraction de ressources naturelles, en réutilisant l’ensemble des constituants du béton démoli.
- Substitution partielle du clinker, le principal émetteur de CO₂ dans la fabrication du ciment.
- Captage de CO₂, la carbonatation accélérée fixe durablement une partie des émissions de la cimenterie dans la matière recyclée.

« Nous obtenons ainsi une addition cimentaire capable de remplacer une partie du clinker. Cette substitution est cruciale : la production de clinker représente l’étape la plus émettrice de CO₂ dans la fabrication du ciment. »
Les résultats montrent un potentiel important de réduction d’émissions, en cohérence avec les objectifs de décarbonation de l’industrie. Les performances mécaniques des bétons produits sont maintenues à l’échelle des bétons à base de matériaux vierges.

4.

Vers une économie circulaire locale

Le modèle apporte de la valeur à chaque maillon (chantier, plateforme, cimenterie, centrale à béton) et dessine de nouveaux métiers.

CIRCO₂BETON® crée une chaîne complète : les chantiers de déconstruction alimentent des plateformes de recyclage urbaines, ces plateformes fournissent les cimenteries qui réinjectent les matériaux recyclés, puis les centrales à béton locales utilisent les ciments/bétons issus du procédé.
Les bénéfices : sécurité d’approvisionnement local, baisse d’extraction de ressources naturelles, amélioration de la qualité des granulats recyclés, et émergence de nouveaux métiers logistiques ou de gestion de plateformes. L’objectif est de produire à une échelle industrielle d’ici 2026–2028, avec des volumes significatifs visés pour la filière.

5.

Déploiement en France : entre potentiel et obstacles

Si la solution est techniquement au point, son déploiement à grande échelle dépend encore de l’organisation de la filière et du cadre réglementaire.
Le principal frein reste l’accès au béton de démolition, aujourd’hui capté en grande partie par le secteur routier. À cela s’ajoute l’absence d’obligation réglementaire d’incorporation de matériaux recyclés dans les bétons de construction.
Les investissements nécessaires — plateformes de recyclage et réacteurs de carbonatation — sont également un enjeu de taille.
Pour accélérer, la filière compte sur l’évolution de la RE2020, la refonte de la REP et la mobilisation des maîtres d’ouvrage autour de la performance démontrée du procédé.
CIRCO₂BETON® est prêt ; il ne manque plus qu’un cadre favorable pour passer du pilote à la norme.

CIRCO₂BETON® en chiffres et en bref

Objectif : Recycler le béton en boucle fermée – refaire du béton avec du béton.

Innovation clé : Séparation sélective + carbonatation accélérée des fines.

Composants récupérés :

– Gravillons (>4 mm) réutilisables directement

– Sable propre équivalent au sable naturel

– Pâte de ciment carbonatée utilisée comme addition cimentaire

Bénéfices environnementaux :

– Réutilisation de 100 % des constituants du béton démoli

– Réduction de l’extraction de granulats et sable naturels

– Substitution partielle du clinker, responsable de 60–70 % des émissions cimentières

– Captage et minéralisation du CO₂ émis par la cimenterie

– Maintien des performances mécaniques des bétons produits

Sites pilotes : Achères (plateforme de recyclage) et cimenterie de Ranville (réacteur de carbonatation).

Objectif industriel : déploiement à grande échelle à horizon 2026–2028.

Projet européen associé : Reconcrete (Pologne) – première démonstration industrielle.

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